Chute de la cavalière à l’occasion d’une séance d’entraînement, la Cour d’appel résiste à la Cour de cassation.
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Publié le :
24/07/2025
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Coup de théâtre dans l’affaire de la cavalière ayant chuté alors que les bandes de polo mises sur les jambes de son cheval par un salarié de l’entraîneur, se sont détachées à l’occasion de l’entraînement. La Cour d’appel de VERSAILLES le 10 avril 2025, RG n°23/014996 résiste et juge que la responsabilité de l’entraîneur n’est pas engagée.
Rappelons rapidement les faits et la procédure
- Une cavalière amateure titulaire du galop 6, souhaitant s’exercer avant une unique course hippique réservée aux étudiants, s’est présentée chez un entraîneur de chevaux de courses de renon, en vue de se préparer à cette compétition. L’entraîneur en parfait « gentleman » sachant que la jeune fille ignorait les spécificités de la préparation des chevaux de courses, lui avait fait préparer son cheval par le meilleur de ses employés puisqu’il s’agit du « Premier garçon » qui a pour but de gérer et diriger les autres salariés. Comme souvent dans les écuries, le premier garçon avait mis lui-même les bandages de polo (sortes de bandes en polaire) sur les jambes du cheval.
- Or au cours du galop, l’un des bandages s’était déroulé entraînant la chute du cheval et de la cavalière lui causant de lourdes séquelles. Ce fut le début d’un 2ème combat pour cette cavalière, bataille perdue (mais non la guerre) avec ce dernier arrêt de la Cour d’appel de VERSAILLES qui maintient le rejet de la responsabilité de l’entraîneur confirmant l’arrêt rendu 4 ans auparavant par la même Cour d’appel de Versailles autrement composée. Rappelons que la victime avait obtenu gain de cause devant le Tribunal avant de voir la décision infirmée par la Cour d’appel, décision elle-même censurée par la Cour de cassation.
- Dans un commentaire publié notamment sur facebook et aussi sur Village de la justice[1], nous avions approuvé la décision de la Cour de cassation rendue sur le fondement de l’article 1242 alinéa 5 (responsabilité délictuelle du commettant) tant le fait fautif du préposé paraissait évident, la bande devant être suffisamment sécurisé pour ne pas se détacher spontanément des membres du cheval, avec des risques importants pour le cheval comme pour le cavalier.
Sur le renvoi de l’affaire devant la même juridiction ?
Une première chose mérite d’être relevée : la Cour de cassation a renvoyé l’affaire devant la même Cour d’appel (celle de Versailles, ) autrement composée. Or en application des articles L 431-4 et L 411 La Cour de cassation ordonne le plus souvent le renvoi devant une juridiction différente de celle qui a rendu la décision censurée pour plusieurs raisons : garantir l'impartialité de la nouvelle juridiction appelée à statuer, éviter toute idée préconçue ou résistance, à la doctrine de l'arrêt de cassation, et assurer un « dépaysement » du procès.Certes depuis la loi du 3 janvier 1979, la Cour de cassation a la faculté de renvoyer l’affaire devant la même juridiction, à condition que celle-ci soit composée d’autres magistrats, ce qu’elle fait lorsque la juridiction initiale est difficile à remplacer (ex : isolement géographique, absence d’une autre juridiction équivalente dans le ressort, ou spécialité de la juridiction), Or on ne trouvait aucune de ces raisons dans notre affaire et l’affaire aurait parfaitement pu être renvoyée par exemple devant la Cour d’appel de PARIS. Précisons que la Cour de cassation est souveraine dance ce choix qui ne peut être discuté par le justiciable mais qui n’est peut-être pas totalement étranger à la « fronde » de la Cour d’appel.
Sur les arguments relevés par la Cour d’appel pour juger de l’absence de faute :
Rappelons rapidement la motivation de la Cour de cassation qui avait censuré la Cour d’appel ayant jugé de l’absence de faute du préposé de l’entraîneur : « En statuant ainsi alors qu'il ressortait de ses constatations que le préposé avait fixé, sur les membres de l'équidé, des bandes de protection qui se sont spontanément détachées au cours de l'entraînement, de sorte que le préposé avait manqué à ses obligations professionnelles, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé ». Il s’agissait donc d’une violation de la loi, soit une véritable censure, avec un contrôle par la Cour de cassation, de la qualification de la faute.La cour d’appel de renvoi rappelle à juste titre le cadre juridique : la responsabilité délictuelle (hors contrat) de l’entraîneur (employeur) à l’égard de la victime, en présence d’une faute commise par son préposé sachant que la victime doit démontrer qu’une faute a été commise.
- La Cour d’appel avec quelques réticences, admet que la bande s’est bien détachée durant le galop. Cependant elle considère que ce détachement pourrait avoir une cause autre que qu’une mauvaise pose de cette bande par M. [T] (le préposé), le frottement des deux antérieurs ou bien d'un postérieur et d'un antérieur au moment où ceux-ci se croisent dans un galop, pouvant « suffire à arracher le velcros qui la tient autour de la patte de l'équidé de même qu’un simple changement de ligne du cheval dû à un déséquilibre de sa cavalière ». Et la Cour de citer une attestation d’un cavalier d'entraînement qui atteste avoir été victime d’une grave chute alors qu’il avait sécurisé les bandes avec du scotch. Le délitement de la bande pourrait donc selon la Cour avoir une autre cause qu’une mauvaise application.
- Cet argument ne me convainc pas pour deux raisons, le Tribunal avait expressément relevé qu’aucune raison extérieure ne pouvait a priori expliquer le délitement de la bande (terrain en sable et temps sec) et si tel est le cas, le commettant serait fautif d’utiliser du matériel qui met en danger ses salariés : s’il sait que la bande peut se déliter du seul frottement des jambes du cheval et entraîner une grave chute comme l’en attestait le cavalier, alors pourquoi a-t-il recours à ce matériel, sachant qu’il existe des alternatives comme les guêtres, qui si elles se détachent n’entraînent aucun risque de chute.[2]
- Puis la Cour (qui au passage discrédite l’attestation du salarié qui avait qualifié de faute grave l’absence de pose d’un système de sécurité sur les bandes) disserte sur le fait que ce « scotch » n’est nullement obligatoire selon à la fois les publications des fabricants (et pour cause, car cela serait reconnaitre l’absence de sécurité de leur matériel) mais aussi au regard de deux notes techniques rédigés par des cabinets d’expertises. Il semble en outre y avoir un point important que la victime aurait pu relever : c’est l’état d’usure de la bande : Un velcro neuf est solide, mais plus ces bandes sont lavées, et plus le velcro s’use, ce qui rend par la suite indispensable la pose d’un dispositif de sécurité pour éviter un accident similaire à celui-ci.
- Enfin la Cour relève que la cavalière qui avait, selon la Cour un certain niveau (galop 6) ne s’était pas étonnée de l’absence de pose de chatterton. Là encore cet argument surprend, une cavalière amateur peu initiée au monde des courses hippiques est fondée à faire confiance à une écurie de course professionnelle qui a pris la précaution de lui préparer son cheval jusqu’à la pose des bandes.
- Il faut néanmoins reconnaitre que le dossier de la victime n’était pas aussi solide techniquement que celui de l’entraîneur : quelques attestations et des extraits de site internet dont le caractère « amateur » ou peu probant a été relevé par la Cour d’appel alors que c’est bien la victime qui a la charge de la preuve.
Pour conclure :
Comme indiqué dans ma précédente chronique, une expertise judiciaire, qui aurait permis d’une part de reconstituer précisément les faits et d’autre part de solliciter l’avis de professionnels objectifs (à la fois des entraîneurs, des fabricants, des utilisateurs) aurait pu éviter cette valse de décisions contraires, l’aléa judiciaire étant d’autant plus importants lorsque les Juges n’ont pas de base technique sur laquelle s’appuyer.La victime est fondée à saisir de nouveau la Cour de cassation à la suite de cet arrêt qui ne s’aligne pas sur celui de la Cour de cassation, même si on comprendrait qu’au bout de 18 ans de procédure et d’un 2ème arrêt qui la déboute, elle se résigne et cesse là le combat.
Historique
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