Mise en cause du Centre Equestre par une cavalière qui chuta au cours de sa première leçon d’équitation.

Publié le : 04/01/2016 04 janvier janv. 01 2016

Cet arrêt de la Cour d’appel de CAEN du 22 septembre 2015 nous donne à nouveau l’occasion d’examiner dans quelles conditions, la victime d’une chute lors d’une leçon ou d’une sortie assurée par un centre Equestre, peut engager la responsabilité de ce dernier. Est-il besoin de rappeler à quel point l’équitation est un sport dangereux ? La gravité des traumatismes liés à la pratique de l’équitation mesurée par « l‘injury sévérité » (score moyen par blessure) en 2009, plaçait cette activité au 2ème rang des activités entraînant des lésions graves après les collisions entre piétons et voitures et avant les courses automobiles (voitures ou moto). Contrairement à un véhicule, le cheval est un animal puissant qui n’est pas facilement maîtrisable, ce qui accroît encore le danger pour le cavalier.

Rappelons les faits : La victime âgée de 54 ans, s’inscrit pour la première fois de sa vie, à une leçon d’équitation. La monitrice prend la précaution de la tenir en longe. A la fin de la leçon la monitrice demande à la cavalière de déchausser les étriers et de lâcher ses rênes pour faire quelques exercices d’équilibre. En serrant les jambes pour éviter de tomber, le cheval se mit au trot entraînant la chute de la cavalière. Les blessures furent suffisamment graves pour que la victime se décide à intenter un procès à l’encontre du centre Equestre, et le Tribunal de Grande Instance de LISIEUX lui donna gain de cause, décision qui fut contestée par la monitrice.

La Cour d’appel de CAEN commence par rappeler que la responsabilité du Centre Equestre, (ou de la monitrice comme c’était le cas en l’espèce, puisqu’elle exerçait son activité à titre individuel), suppose la preuve d’une faute, l’obligation de sécurité de l’établissement n’étant qu’une obligation de moyen compte tenu à la fois du rôle actif du participant et du fait que l’équitation est un sport dangereux Les magistrats rappellent systématiquement que l’équitation est un sport dangereux, la survenance d’un accident ne pouvant être évitée quelles que soient les précautions prises.

La victime supporte donc la preuve difficile de caractériser le manquement du professionnel. Nombreuses sont donc les décisions qui déboutent les victimes de leur demandes, notamment lorsqu’il s’agit de cavaliers expérimentés déjà titulaire de plusieurs galops, ce qui caractérise à la fois leur maitrise de l’animal et leur connaissance des risques. Les victimes sont également systématiquement déboutées comme l’a rappelé la Cour d’appel de DOUAI le 29 aout 2013, lorsque les circonstances de la chute restent indéterminées, ce qui ne permet pas à la victime de démontrer la faute de l’établissement sportif. Il existe cependant des cas où la preuve de la faute de l’établissement est facilitée, tandis qu’en l’espèce c’est dans l’exercice imposé par la monitrice que la Cour d’appel a jugé que la faute était caractérisée.

  I- La preuve de la faute du Centre Equestre est facilitée en présence d’une absence de diplôme ou d’un défaut dans l’équipement.    

Dans certains cas, la preuve de la faute est facilitée pour la victime, notamment en présence d’une absence de diplôme ou d’une absence de qualification de l’accompagnateur, lequel assure la sécurité lors d’une promenade ou d’une leçon (Cf. Cour d’appel de PARIS 9 mars 2009). La responsabilité du Centre Equestre sera également retenue de manière systématique si l’encadrement (lors d’une promenade par exemple) est insuffisant notamment si les cavaliers n’ont pas tous le même niveau, (Cour d’appel de NANCY le 8/09/2003). La responsabilité du Centre Equestre est également retenue lorsque c’est le moniteur lui-même qui perd le contrôle de son cheval et qui est à l’origine de la fuite des autres chevaux et de la chute des cavaliers. (Cour d’appel de MONTPELLIER 16 février 2010). La faute du Centre Equestre est également facilitée lorsqu’il ne fournit pas le bon équipement aux cavaliers: la Cour d’appel d’Aix en Provence le 30 avril 2013 a retenu la responsabilité du Centre Equestre qui n’avait pas obligé le cavalier victime d’un traumatisme crânien, à porter une bombe lors d’une promenade en extérieur, où encore lorsque le moniteur n’a pas pris la précaution de vérifier l’équipement de tous les cavaliers, à qui il a cependant fait prendre le galop. (Cf. Cour d’appel de PROVENCE le 29 avril 2008)

La Cour d’appel de NANCY le 7 janvier 1998 a condamné un poney club dont le manège n’était pas équipé de pare-bottes, et ce contrairement aux recommandations du Ministère de l’agriculture, la chute de la cavalière sur la barrière en fer ayant effrayé le poney qui par réaction avait botté et blessé la cavalière à terre. La Cour rappelle que le poney club aurait dû mettre en œuvre les équipements préconisés et qu’à défaut il a commis une faute engageant sa responsabilité. Cet arrêt illustre parfaitement le fait qu’un défaut dans l’équipement s’il est en lien avec le dommage entraîne automatiquement la preuve de la faute de l’établissement sportif.               

En dehors de ces cas où la preuve de la faute est facilitée, comment établir la faute du Centre Equestre ?   II-Le manquement à l’obligation de sécurité caractérisé dans les caractéristiques de l’exercice inadapté au cavalier.   Dans l’arrêt commenté, la leçon était assurée par la monitrice qui n’avait pour élève que la cavalière victime, laquelle était tenue en longe. Il n’y a donc aucun défaut de diplôme ou d’encadrement.

Toutefois, les magistrats retiennent que le manquement à l’obligation de sécurité est bien caractérisé compte tenu des circonstances de cette chute. Plusieurs éléments sont relevés par les magistrats pour établir la faute de la monitrice. Au préalable il s’agissait d’une personne totalement inexpérimentée, qui prenait sa première leçon. Or les juges sont beaucoup plus sévères à l’égard de cavaliers novices, n’appréhendant pas parfaitement les dangers de l’équitation. Le Tribunal de Grande Instance de MILAU, le 19 novembre 2008 a même posé en principe que compte tenu de l’inexpérience des pratiquants l’organisateur était présumée fautif du dommage subi par la victime. Si ce jugement est resté isolé, il est acquis que le niveau d’expérience et de compétence du cavalier a une influence sur le degré d’exigence dans les précautions qui devront être prises par le Centre Equestre. En l’espèce, non seulement la cavalière était novice mais de surcroit elle était d’âge mur (54 ans), rappelle la Cour d’appel, un âge où l’on craint forcément une chute ce qui ne fait qu’aggraver les conséquences de celle-ci lorsqu’elle survient. Par ailleurs et comme l’a jugé avant elle d’autres juridictions, la Cour juge que l’exercice proposé à cette cavalière était lui-même dangereux : solliciter de la cavalière novice qu’elle lâche à la fois les rênes et les étriers pour réaliser des exercices d’équilibre, c’était un risque que la monitrice n’aurait pas dû faire prendre à sa cliente. Ce n’est pas la première fois que les Juges retiennent la responsabilité d’un Centre Equestre lorsqu’ils considèrent que les cavaliers n’ont pas le niveau requis pour réaliser en parfaite sécurité l’exercice qui leur est demandé par le moniteur. Par exemple, la Cour d’appel de PROVENCE le 29 avril 2008 a retenu la responsabilité du centre Equestre, ayant imposé à des cavaliers inexpérimentés de prendre le trot ou le galop, allures qui comportent des risques plus importants que le pas. De même la Cour d’appel de PAU le 24 novembre 2009, a aussi retenu la responsabilité du centre Equestre qui avait fait prendre le galop sur les 500 derniers mètres à des cavaliers inexpérimentés qui recherchaient seulement le plaisir d’une balade à cheval. Dans des circonstances un peu similaire, un poney club a été jugé responsable de la chute d’une jeune cavalière d’un faible niveau et qui est tombée lors d’une promenade qui s’est déroulée sur des poneys «à cru » la cavalière ne disposant pas d’une selle munie d’un pommeau pour lui permettre de se retenir. (Cour d’appel de CHAMBERY 26 mai 2009 RG n° 08/00709). Le fait de disposer d’une selle et de deux étriers permet au cavalier de mieux tenir sur son cheval et d’éviter la chute.

La Cour d’appel de DIJON le 16 février 1993 a également condamné un centre Equestre à l’égard d’une cavalière d’un niveau peu élevé, à qui on a confié une jument qui effectuait sa première promenade à l’extérieur depuis son arrivée au centre Equestre : la jument était donc dans un environnement inconnu ce qui accroît l’inquiétude des chevaux, d’autant que la moniteur a conduit la promenade à proximité d’un terrain de motocross ! Le tracé du parcours choisi par l’accompagnateur peut donc aussi se révéler fautif comme l’a retenu également la CA de CHAMBERY le 7 novembre 2006 qui a déclaré le Centre Equestre responsable de la chute d’une cavalière inexpérimentée que l’on a fait passer près de chevaux en liberté, entraînant une réaction de son cheval qui était parti au galop ce qu’elle n’avait pas su maîtriser.

Cette protection ne vise pas que les cavaliers totalement novices puisque la Cour d’appel de VERSAILLES le 3 avril 2014 a condamné un Centre sportif à indemniser un cavalier titulaire d’un galop 3 victime d’une chute, la Cour ayant jugé que seuls les titulaires du galop 5 étaient capables de réaliser l’exercice proposé, soit le sauts de plusieurs obstacles rapprochés sur une même ligne droite.

Il appartient donc au centre Equestre de s’assurer que ses accompagnateurs ou moniteurs sont parfaitement qualifiés, de vérifier l’équipement des cavaliers et de ses infrastructures, mais aussi de s’assurer de la compatibilité entre la difficulté de l’exercice qu’il propose et le cavalier en cause (expérience, âge tempérament). Si la victime parvient à démontrer que l’exercice est manifestement inadapté, la responsabilité du Centre sportif sera à coup sûr retenue.

 

Blanche de GRANVILLIERS Avocat à la Cour

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