TGI Foix, 5 mars 2014 : Le maréchal-ferrant est-il soumis aux règles du dépôt salarié ?

Publié le : 03/07/2014 03 juillet juil. 07 2014

Ce jugement du TGI de FOIX nous donne l’occasion de revenir sur les règles gouvernant la responsabilité du Maréchal-Ferrant.

Si la solution de l’arrêt, en ce qu’elle a exonéré le Maréchal ferrant de toute condamnation, nous parait devoir être approuvé, en revanche, la motivation de la décision basée sur l’argumentation des parties, laquelle lie les juges, nous parait quelque peu critiquable et mérite d’être analysée. En effet, il n’est pas rare que, comme en l’espèce, lors des interventions du maréchal-ferrant, le cheval s’accidente, par peur de l’homme ou des soins qu’il tente de réaliser sur les pieds de l’animal.

En l’espèce, la jument avait basculé en arrière et chuté au sol après qu’une des deux longes élastiques qui la maintenait ait rompu. L’Expert désigné en justice avait conclu à l’absence de faute grossière du maréchal-ferrant, dès lors que le ferrage dans un box aurait présenté davantage de risques de blessures, imputant la chute à la rupture d’une des deux longes appartenant au propriétaire de la jument.

A la suite de ce rapport qui ne lui donnait pas raison, le propriétaire de la jument tenta néanmoins sa chance et sollicita la condamnation du professionnel au motif que le maréchal ferrant était débiteur d’une obligation de résultat et qu’il ne démontrait pas de cause étrangère. Le maréchal, de son côté, invoquait l’article 1789 du Code civil sur la responsabilité du prestataire du service, lequel n’est tenu que de sa faute et se basant sur le rapport de l’Expert il estimait qu’il n’avait commis aucune faute.

Comme l’a noté avant nous un précédent commentateur, « il est en effet acquis que le contrat qui lie le maréchal ferrant à son client est un contrat d’entreprise régi par les dispositions de l’article 1789 du Code civil. La question qui se pose, ce contrat d’entreprise peut-il être accompagné d’un contrat de dépôt. » (Cf. CA DIJON Bull Juridiqui n°49, mars 2008).

Sur ce, par un attendu de principe,  le Tribunal indiqua : « Il n’est pas discuté que la convention suivant laquelle la SCEA a confié moyennement rémunération sa jument à M. ALBERGNE en vue de son ferrage doit s’analyser en un contrat de dépôt salarié. »

Sur la base de cet attendu, on comprend que la question ne serait plus l’ajout d’un dépôt à l’obligation de l’entrepreneur mais l’application unique du contrat de dépôt entre le propriétaire et le professionnel, lorsque ce dernier ferre le cheval du premier. Dans la procédure en cause, il est exact que le maréchal ferrant n’avait pas contesté cette qualification de dépôt salarié, soutenant cependant qu’était rapportée la preuve de son absence de faute.

Cette affirmation du Tribunal qui ne manque pas de surprendre n’est cependant pas inédite, la Cour de cassation ayant elle-même visé les règles du dépôt salarié à propos d’un maréchal ferrant dans un arrêt du 15 novembre 2005, (n° de pourvoi 03-18364 cité dans Bull. Juridiqui n°49 mars 2008). Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, la plus haute juridiction avait cassé l’arrêt ayant rejeté l’action contre le maréchal, justement par référence aux règles du dépôt salarié. Cependant et comme le commentaire précédent l’a indiqué, cet arrêt du 15 novembre 2005 peut s’expliquer par des considérations particulières dès lors que, d’une part l’arrêt relève que le cheval avait été confié au maréchal qui peut être en avait la garde au quotidien et, d’autre part, que l’animal avait été blessé par un clou que le maréchal avait laissé dans le box et non au cours de l’intervention proprement dite du maréchal, ferrant les pieds du cheval.

Le cheval s’était donc accidenté postérieurement à la ferrure alors qu’il se trouvait dans son box et en dehors de toute intervention humaine, qui sont justement les conditions propices à l’application du dépôt salarié.

Il serait en effet particulièrement injuste de soumettre le maréchal ferrant à la responsabilité sévère du dépositaire salarié, alors que, compte tenu de la nature de son intervention, il doit comme les autres professionnels lors de ses opérations sur les pieds du cheval, n’être tenu que d’une obligation de moyen, le cheval ayant un rôle actif qu’il ne peut maitriser, ainsi qu’en atteste d’ailleurs les accidents fréquents qui peuvent intervenir. On peut rappeler que la jurisprudence de la Cour de cassation que nous avions appelé de nos vœux et initiée par l’arrêt rendu le 3 juillet 2001 (Guedj C/ LHOMMET Bull. JURIDIQUI n°24, décembre 2001) ne fait plus application d’un critère accessoire principal, mais utilise une qualification distributive en distinguant au sein des prestations du professionnel, le cadre dans lequel le dommage est intervenu : si le cheval s’est accidenté au box au pré en dehors de toute intervention technique du professionnel nous sommes bien dans le cadre de l’obligation de dépôt. En revanche, le cheval qui s’accidente alors qu’il est l’objet d’une intervention technique du professionnel (exploitation, entraînement, débourrage etc..) ce dernier ne peut être tenu que d’une obligation de moyen.

Le maréchal qui ferre un cheval est clairement dans cette prestation technique ainsi que l’a rappelé la Cour d’appel d’AMIENS le 08 juin 2004, qui avait rejeté la demande du propriétaire du cheval accidenté lequel avait invoqué les règles du dépôt salarié. L’arrêt précité de la Cour d’appel de LYON s’inscrit dans le même raisonnement, bien qu’elle retienne la responsabilité du maréchal, dès lors qu’était en l’espèce prouvée « qu’il avait manqué de donner à l’animal des soins attentifs en ne prenant pas en compte au cours des opérations de ferrage les signes d’agitation manifestés par la jument. » (Cf. Bull. juridiqui n°49 Mars 2008 précité).

Les termes utilisés par les Cours d’appel se rapprochent quelque peu de ceux utilisés à propos du vétérinaire tenu lui aussi d’une obligation de moyen lorsqu’il soigne le cheval confié. Une dernière difficulté subsiste dès lors qu’il ne sera pas toujours facile de distinguer si l’accident est intervenu, alors que l’opération de parage ou de ferrage du cheval, était en cours, où à l’issue de cette opération, où la responsabilité du dépositaire salarié qui a le cheval en garde, pourrait se substituer à celle du maréchal ferrant. (Cf. CA RENNES 18 février 2005 N° RG 03/07256)

Le maréchal ferrant est lui aussi un professionnel de « santé » et il dispose, à ce titre, d’une dérogation dans le Code rural (Article L 243-3 ) limitée au parage et aux pathologies des pieds. Il faut se garder de trop vouloir étendre les règles du dépôt salarié, dont le régime de responsabilité particulièrement rigoureux pour le professionnel n’a de sens que s’il est strictement cantonné aux hypothèses où la Cour de cassation a souhaité l’appliquer.

Les actions de propriétaire désireux de se voir indemniser à tout crin risqueraient à l’avenir d’entraîner des mécanismes de protection de la part des maréchaux ferrant, lesquels pourraient leur opposer des clauses limitatives ou exonératoires, valables sous certaines conditions.

Maître Blanche de Granvilliers Juillet 2014

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