Absence de responsabilité du Centre Equestre à l’égard d’une cavalière blessée au cours de la préparation du cheval

Auteurs : Blanche de Granvilliers-Lipskind,Avocat.
Publié le : 25/03/2020 25 mars mars 03 2020
Source : www.village-justice.com
C’est à juste titre que depuis un arrêté du 25 avril 2012 l’équitation fait partie de la liste des Sports à risque, à la fois dans le code du sport et le code de l’action sociale et des familles. En présence d’un dommage corporel subit par un pratiquant, la condamnation du Centre Equestre n’est pas automatique et c’est arrêt en constitue une nouvelle illustration.

Lors de la préparation des poneys, alors qu’une enfant réalisait le noeud d’attache d’un poney à un anneau métallique, l’animal, effrayé par le mouvement d’un autre poney sorti de son box, s’est cabré et le pouce gauche de l’enfant s’est coincé dans le noeud de la longe. Aucun adulte n’était présent dans les écuries au moment de l’accident, le président du club, les monitrices et l’apprentie enseignante étaient à proximité, dans le manège ou le club-house. L’une des monitrices est arrivée très rapidement pour s’occuper de la victime, mais cet accident a entraîné une amputation du pouce. Les parents de la victime ont déposé plainte contre l’établissement, procédure qui a été classée sans suite, mais dont certains éléments ont servi de base à la motivation de la décision.

La particularité de la décision commentée, réside dans la survenance du dommage non pas au cours de la leçon d’équitation proprement dite, mais dans le cadre de la préparation de l’animal par la victime. Rappelons que non seulement le cheval peut occasionner un dommage au cavalier à l’occasion de la séance d’équitation proprement dite mais également par exemple lors de sa préparation, coup de pied, morsures, ou autres blessures comme dans notre hypothèse.

Quelle est la nature de l’obligation du centre équestre (I) pourquoi ni la faute ni le lien de causalité avec le préjudice n’ont été démontrés (II) que peut-on attendre de la réforme de la responsabilité civile (III) tels sont les trois points qui seront successivement abordés.

I- Sur l’obligation de sécurité de moyen du centre équestre.

La cour d’appel de Paris, après avoir exposé le litige et la décision du tribunal ayant débouté la victime et ses représentants légaux, rappelle que l’obligation contractuelle de sécurité du centre équestre, [1] est une obligation de moyens tenant compte notamment du rôle actif de chaque participant. Précisons qu’il convient de distinguer la leçon d’équitation, de la promenade à cheval dans le cadre d’un séjour touristique où la victime qui peut être totalement inexpérimentée est protégée par l’article L211–16 du Code du tourisme avec une responsabilité de plein droit du tour opérator ou de l’agence de voyage.
Concernant les pratiquants licenciés, la cour de cassation rappelle que « le centre équestre, qui organise des promenades à cheval avec des élèves plus ou moins expérimentés, est tenu d’une obligation de sécurité qui n’est qu’une obligation de moyens et qu’il ne peut être déclaré responsable de la chute d’une élève que s’il a manqué à son obligation de prudence et de diligence » [2]
La circonstance que l’accident se produise à terre et non à cheval ne modifie pas l’obligation de sécurité dite de moyen du professionnel. Malgré les nombreuses tentatives des victimes pour obtenir des juridictions une évolution quant à la nature de l’obligation du Centre Equestre et pour qu’elle soit qualifiée d’obligation de moyen renforcée, les magistrats sauf exceptions [3] considèrent que la victime a la charge de la preuve du manquement commis par le professionnel.
La Cour d’appel de Paris elle-même dans un arrêt précédent avait également jugé qu’un centre équestre qui donne des leçons d’équitation n’est tenu sur le fondement de l’article 1147 du Code civil qu’à une obligation de moyens en ce qui concerne la sécurité du cavalier. [4]
Dans l’espèce commentée la Cour d’appel de Paris précise cependant que cette obligation de moyens est appréciée avec plus de rigueur s’agissant d’une activité sportive présentant un caractère potentiellement dangereux. On retrouve cette nuance dans une décision [5] qui a admis l’existence d’une faute du Centre Equestre, qui bien que tenu d’une obligation de sécurité de moyen devait «
tout mettre en oeuvre pour empêcher qu’un accident ne se produise ».On relève toutefois que c’est parfois le caractère dangereux de l’équitation qui permet aux juridictions de qualifier l’obligation de l’établissement sportif, d’une simple obligation de moyens [6].

Le caractère dangereux de l’activité est bien un élément qui divise la jurisprudence et la doctrine. Comme l’a exposé le Professeur Mazeaud « soit on considère dans l’intérêt du débiteur (le Centre Equestre) que plus le risque est élevé plus l’aléa qui lui est inhérent doit conduire à la qualification d’obligation de moyen, soit on considère dans l’intérêt du créancier (la victime) que plus le danger est important plus sa sécurité lui échappe et qu’il est donc censé l’avoir confié au débiteur qui doit la loi garantir. » [7]
Et d’en conclure que selon lui « le droit positif est critiquable car il fait la part belle aux obligations de sécurité de moyens comme le révèle l’examen du droit positif relatif aux activités sportives et de loisirs. »
Il est exact que les décisions sont quasi unanimes pour qualifier l’obligation de sécurité du Centre Equestre comme étant une obligation de moyens.
Ni le faible niveau, ni l’âge de l’enfant ne sont des critères suffisants pour opérer un renversement de la charge de la preuve au détriment du centre équestre. Pour preuve notre espèce concernait une enfant âgée de 12 ans n’ayant que son galop 2 soit un faible niveau d’équitation. S’il faut approuver l’argumentation de la cour d’appel en son appréciation rigoureuse du comportement du Centre Equestre, l’arrêt ne nous a cependant pas permis de vérifier quelles conséquences concrètes la cour déduisait de cette sévérité à l’égard de l’établissement sportif.

II- Sur la preuve d’une faute et d’un lien de causalité.

Comment caractériser la faute du centre équestre ? Dans certains cas cette preuve est facilitée parce qu’elle repose sur des éléments objectifs : absence de qualification de l’accompagnateur, encadrement insuffisant, Matériel de protection inadapté ou insuffisant, parcours présentant un danger pour les participants. Récemment la faute du centre équestre a également été caractérisée en tenant compte de la difficulté de l’exercice qui était proposé à une cavalière âgée dont c’était la première leçon. [8]

Rien de tout cela en l’espèce concernant la jeune fille dont le doigt s’était retrouvé coincé dans la longe à la suite du mouvement brusque du cheval qui avait « tiré au renard » alors qu’elle était en train de l’attacher. Pour caractériser la faute du centre équestre, les parents de la victime évoquaient un défaut de surveillance des enfants lors de la préparation des poneys : ils soutenaient que c’est l’absence d’encadrant dans la phase de préparation des poneys qui était fautive, alors qu’à défaut l’accident n’a pu être évité. La cour juge cependant que la victime était défaillante à rapporter la preuve d’une faute du Centre Equestre, dès lors que ni la plainte pénale ni l’enquête administrative n’avait prospéré et n’avaient permis de démontrer un manquement du centre équestre dans l’organisation de l’activité. La cour relève qu’une surveillance constante de chaque cavalier lors de la préparation des poneys n’est ni requise, ni même réaliste.
Outre l’absence de faute la cour retient en outre que quand bien même un adulte aurait été présent, il n’est pas établi qu’il aurait pu prévenir le dommage au regard de la soudaineté de l’accident, contrairement à ce qui était prétendu par les appelants : Quelques secondes seulement ont pu suffire à provoquer le dommage (l’avulsion du pouce). La motivation de la cour d’appel de Paris rappelle l’argumentation antérieure de cette même juridiction qui le 18décembre 2015 [9] avait également débouté la victime de son action contre le centre équestre après avoir retenu que « les dommages ayant pour seule origine la réaction par nature imprévisible de l’animal effrayé ne sont pas couverts par le régime de la responsabilité contractuelle du centre équestre, la pratique de l’équitation étant un sport dangereux. »

III- Quelle évolution au vu de l’avant-projet de loi de la réforme de la responsabilité civile ?

L’article 1233-1 de l’avant-projet prévoit que « Les préjudices résultant d’un dommage corporel sont réparés sur le fondement des règles de la responsabilité extracontractuelle, alors même qu’ils seraient causés à l’occasion de l’exécution du contrat. »
Si ce projet de loi était adopté en l’état, la victime d’un dommage corporel pourrait se fonder sur un régime de responsabilité objective où la preuve de la faute n’est pas nécessaire et donc se prévaloir du régime de responsabilité du fait des choses (du fait de l’animal) même lorsque l’obligation violée serait une obligation de sécurité de moyen. Certes, la victime échappera à la preuve d’une faute, elle risque cependant de ne pas avoir systématiquement gain de cause.
En effet, reprenons notre hypothèse : la victime avait le poney en main et elle était en train de l’attacher : sur le fondement de la responsabilité du fait de l’animal, qui devrait d’ailleurs être englobée dans l’article sur la responsabilité du fait des choses au vu du projet de rédaction de l’article 1243 du Code civil, le Centre Equestre plaidera que la cavalière avait la qualité de gardienne de l’animal : En allant chercher le poney dans son box, en lui mettant un licol et en le sortant, on risque de lui opposer qu’elle en avait l’usage, la direction et le contrôle. Or la qualité de gardien de la chose exclut que l’on puisse obtenir l’indemnisation des dommages subi par le fait du cheval se trouvant sous sa garde. On ne peut être en même temps, victime et gardien. Cette réforme risque donc de déplacer le débat juridique sans forcément permettre une meilleure indemnisation des victimes.
En l’état du droit positif, la responsabilité du centre équestre devant être démontrée, les associations et fédérations sportives ont l’obligation d’informer leurs adhérents, [10] de l’intérêt que présente la souscription d’un contrat d’assurance de personnes couvrant leurs dommages corporels à l’occasion de leur activité sportive. Seule cette garantie individuelle accident permettra une indemnisation contractuelle systématique de la victime, indemnisation certes limitée mais préférable à une procédure qui ne leur donnera pas forcément satisfaction si la faute de l’établissement sportif n’est pas établie.

Blanche de Granvilliers-Lipskind Avocat à la Cour, Docteur en droit, Membre de l'Institut du Droit Equin et de la commission droit de l'animal.

[1] Anciennement article 1147 du Code civil et désormais codifié à l’article 1217 et 1231-1
[2] Cass.1ère civ.29 juin 1994, n° 92-16442 ; Cass. 1ère civ, 22 juin 2004, n°01-16350 et n°02-17949
[3] TGI de Millau 19 novembre 2008 n° de RG 07/00293
[4] Cour d’appel de PARIS 18 décembre 2015 RG n°14/15461 JurisData n° 2015-030033
[5] Cour d’appel de POITIERS 24 juin 2016 RG n°15/00890
[6] Cf par exemple CA Caen 22 septembre 2015 RG n°14/03267
[7] Cf. la distinction obligation de moyen-obligation de résultat, le saut dans le vide Dalloz 2017 Etudes etCommentaires page 198 D. MAZEAUD
[8] Cour d’appel de Caen 22 septembre 2015 RG n 14/03267
[9] Cf. Arrêt précité
[10] Article L321-4 du Code du sport

 
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