Absence de perte de chance de renoncer à l’achat, la lésion omise par le vétérinaire étant sans rapport avec la boiterie du cheval

Auteur : Blanche de GRANVILLIERS
Publié le : 07/02/2018 07 février févr. 02 2018

Arrêt Cour de Cassation du 29 juin 2017 numéro 16-19429

Cet arrêt de la Cour de cassation ne manquera pas d'être apprécié des vétérinaires qui pratiquent régulièrement des expertises de transactions appelées plus communément « visites d'achat ».  
Précisons d'emblée que cet examen figure désormais en tête du hit-parade des mises en cause des vétérinaires, où il a supplanté les litiges consécutifs aux castrations de chevaux qui auparavant tenaient la tête de ce triste classement. La visite de transaction est appelée « visite d'achat » parce qu'elle est le plus souvent sollicitée par un acheteur potentiel qui conditionne la finalisation de sa transaction d’achat du cheval, aux conclusions de cet examen. Autre particularité, le vétérinaire peut être le seul dont la responsabilité est recherchée par l'acheteur ou l'être conjointement avec le vendeur, ou encore voir sa responsabilité recherchée par les deux parties à la vente. En l'espèce, l'acheteur d'un cheval de dressage acquis pour 10.000€ avait fait le choix de n'agir que contre le vétérinaire à qui il reprochait de n'avoir pas décelé une lésion d'ostéochondrose sur un boulet, laquelle selon lui aurait été de nature à le dissuader de conclure la transaction. Débouté de ses demandes par les juges du fond, l’acheteur forma un pourvoi, dont les moyens soulèvent deux questions distinctes. Quelle est la teneur du devoir d'information du vétérinaire lors d'une visite de transaction ? Comment s'apprécie la perte de chance liée au manquement, dont peut se prévaloir l'acheteur ?

-I- Sur l'étendue du devoir d'information du vétérinaire

L’article R 242-38 du Code de déontologie vétérinaire codifié dans le Code rural et de la pêche maritime précise à propos des certificats et autres documents que « le vétérinaire apporte le plus grand soin à la rédaction des certificats ou autres documents qui lui sont demandés et n'y affirme que des faits dont il a vérifié lui-même l'exactitude ».
Tout comme l'obligation de soins, l'obligation d'information du vétérinaire est une obligation de moyens, le propriétaire du cheval ayant à charge de démontrer la faute du praticien et le lien de causalité avec le dommage. Si le vétérinaire supporte comme les médecins depuis un arrêt de 1997 (Cass. Civ I, 25 février 1997, Bulletin 1997 I n° 75 p. 49) la charge de la preuve qu'il a bien informé le propriétaire du cheval, preuve qu'il peut rapporter par tout moyen, l'obligation d'information n'en est pas pour autant devenue une obligation de résultat. Le vétérinaire doit relever les lésions, les décrire, et informer son client des conséquences possibles de celles-ci. Néanmoins, est-il tenu de décrire de manière exhaustive l'ensemble des lésions qu'il découvre lors de son examen même s'il considère qu'elles sont sans incidence ou qu’elles concernent une partie de l'anatomie du cheval qu’il n’a pas à examiner ? Préalablement à son intervention, le vétérinaire définit avec son client le contenu de sa mission et notamment les examens sollicités qui dépendent entre autres des exigences du futur propriétaire, du prix du cheval et de l'activité sportive envisagée. Cet échange est cependant souvent succinct et parfois absent entre le vétérinaire et le propriétaire qui fait confiance au praticien professionnel pour diligenter les examens opportuns. En l'espèce, le vétérinaire n'avait prévu de radiographier que les pieds et les grassets du cheval. Il plaidait que la radiographie des boulets n'était contractuellement pas prévue et que de ce fait, le nodule d'ostéochondrose (maladie ostéo cartilagineuse) visible sur un des clichés des boulets ne pouvait engager sa responsabilité, faute de faire partie de sa mission.
En défense, le propriétaire faisait valoir que c'est le vétérinaire lui-même qui avait limité ses investigations en décidant de ne pas examiner les boulets, qu'il n'y avait donc eu aucun accord de l'acheteur pour exclure les boulets de l'examen, et qu'en toute hypothèse, dès lors que la lésion d'ostéochondrose était visible sur les clichés, le vétérinaire était fautif de ne pas l'avoir signalée. Le moyen du pourvoi pouvait effectivement se prévaloir d'un arrêt rendu par la Cour d'appel de Dijon (CA Dijon, 6 juillet 2004, RG n° 03/01236), lequel a admis la responsabilité d'un vétérinaire au motif que « même si l'examen radiographique avait pour objet l'articulation du pied et non celle du boulet, le format du film permettait une lecture acceptable de cette articulation, de sorte que dans la mesure où la visite d'achat a pour but la recherche exhaustive des anomalies, aussi discrète et bénigne soit-elle, le docteur vétérinaire aurait dû examiner attentivement le boulet et signaler la lésion à l'acquéreur ».
A en croire la Cour d'appel de Dijon, dès lors que la lésion est visible, elle doit être signalée par le vétérinaire. La Cour d'appel de Caen dont la décision a été soumise à la Cour de cassation, se conformant à l'avis de l'expert judiciaire, avait considéré qu'aucun manquement contractuel ne pouvait être retenu à l'encontre du vétérinaire pour ne pas avoir signalé l'anomalie du boulet qui ne faisait pas partie des examens, mais en ayant pris soin d’ajouter immédiatement, l'absence de lien de causalité entre la faute et le préjudice.
La Cour de cassation ne se prononce pas directement sur ce point. Sa motivation ne fait aucune référence au contenu du contrat liant le vétérinaire et son client pour rejeter le pourvoi. Il est donc hasardeux pour le vétérinaire de se retrancher derrière cette seule délimitation contractuelle, dont la preuve sera en outre difficile.
Une seule certitude, le vétérinaire doit examiner les clichés avec attention, décrire les lésions et les conséquences probables de celles-ci. Même si le vétérinaire dans ses conditions générales précise les limites de son examen, notamment car le cheval, être vivant, évolue en permanence, son obligation de moyens est appréciée avec rigueur dans le cadre de la visite d'achat dès lors qu'elle conditionne la décision de l'acheteur.
Dans le même esprit, le vétérinaire est considéré comme fautif si la lésion n'est pas visible du fait de clichés de mauvaise qualité. La Cour d'appel de Dijon, à propos du vétérinaire du vendeur, a condamné le praticien qui s'était contenté de radiographies insuffisantes, responsable d'une mauvaise interprétation des clichés (CA Dijon, 7 Mai 1996, AUBIN C/ GAEC LE MASLE, Bulletin juridique n°5, mars 1997).
Il appartient au vétérinaire dans ce cas de poursuivre ses investigations pour que les images soient de bonne qualité et permettent une lecture fiable.

À supposer que la faute du vétérinaire soit caractérisée et ce quel que soit le fondement – contractuel ou délictuel – la responsabilité de ce dernier suppose l'existence d'un lien de causalité avec un préjudice que le propriétaire du cheval doit prouver.

-II-  Sur le lien de causalité avec le préjudice de perte de chance.

Lorsque le défaut d'information du vétérinaire à l'égard de son client est caractérisé, sa responsabilité s'apprécie en termes de perte de chance : l'acheteur qui n'a pas été correctement informé a perdu une chance de renoncer à son achat et d'exposer un certain nombre de frais inhérents au cheval inapte, outre le paiement du prix (frais d'entretien, frais vétérinaires, maréchalerie, etc.). Comme l'a rappelé la Cour d'appel de Nîmes le 29 mars 2011, « cette faute n'est pas la cause du dommage : elle a seulement fait perdre à Monsieur B la chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses » (CA Nîmes, 29 mars 2011, n° 219, 08/02115). Les prétentions financières du demandeur à l'égard du vétérinaire varient suivant que le vendeur est également attrait ou non dans la procédure puisqu'en principe, seul le vendeur qui a perçu le prix est tenu au remboursement envers l'acheteur : c'est à lui que l'acheteur réclame le remboursement de la totalité du prix.
En l'espèce et en l'absence de mise en cause du vendeur, l'acheteur sollicitait au titre d'une perte de chance le remboursement de la moitié du prix de vente du cheval acquis (10.000€) et divers dommages et intérêts dont le cumul dépassait largement la réclamation précédente.
Il n'était pas contesté que le vétérinaire avait omis de relever un nodule de 3 mn au bord dorsal de l'articulation du boulet antérieur droit, lequel présentait la particularité de n’avoir jamais été à l’origine de la boiterie du cheval. Dans des circonstances similaires, à propos d'un vétérinaire qui avait également omis d'informer son client d'un petit nodule au boulet droit, la Cour d'appel de Pau a estimé que la responsabilité du praticien était engagée à l'égard de son client, après avoir relevé que certes, ce nodule était une anomalie fréquemment observée chez les chevaux, qu’il était supporté sans causer de trouble et sans évolution depuis deux ans, mais ce nodule constituait une augmentation du risque potentiel en cas d'usage sportif intensif du cheval acquis pour un usage de saut d'obstacles (CA Pau, 18 octobre 2000, CASTEL C/ THUSSEAU, Bulletin juridique n°20, décembre 2000).
En l’espèce, la Cour de cassation, adoptant sur ce point la motivation de la Cour d’appel de Caen, a débouté l’acheteur jugeant la lésion sans lien avec le préjudice en ces termes : « Dans l’exercice de son pouvoir souverain, la Cour d’appel a estimé que sa découverte n’aurait pas été de nature à dissuader M. X de procéder à l’achat et que celui-ci ne démontrait pas que si cette information lui avait été donnée, son opinion en aurait été modifié ».
Doit-on analyser cet arrêt comme un revirement ou un assouplissement de la rigueur de la Cour de cassation ? On peut en douter au vu de deux éléments. Dans l’espèce commentée, le cheval boitait et cette boiterie, selon l'expert désigné par le Tribunal, n’avait aucun rapport avec le nodule au boulet, mais trouvait sa source dans des lésions d'arthrose dont l'antériorité à la vente n'étaient pas prouvée : ces lésions d'arthrose n'avaient pas été détectées lors des examens au moment de l'achat et leur effet délétère s'était produit après la vente selon les juges du fond. Aussi, le nodule apparaissait vraisemblablement comme un prétexte invoqué par le propriétaire pour obtenir des dommages et intérêts alors que la cause du préjudice se trouvait ailleurs et ne pouvait être imputée à faute au vétérinaire. D'ailleurs, l'expert judiciaire avait considéré que l'opération du nodule était inutile, opération que le propriétaire avait néanmoins pratiquée peut-être pour accréditer son argumentaire sur la gravité de cette lésion. Autre élément justifiant le débouté de l'acheteur, l'avis de l'expert judiciaire : dans l'affaire soumise à la Cour d’appel de Pau, l'expert avait retenu la responsabilité du vétérinaire pour défaut d'information quant à la présence du nodule après avoir rappelé que le cheval ne souffrait d'aucune autre lésion, qu'il n'était pas boiteux, mais selon le technicien, ce nodule pouvait potentiellement restreindre l'usage du cheval, ce qui justifiait une prise en charge partielle par le vétérinaire du préjudice subi par le propriétaire du cheval. En revanche dans notre affaire, la Cour de cassation a relevé que selon l’expert, « si le cheval en cause ne pouvait plus être employé dans la discipline sportive prévue lors de son acquisition, cet empêchement était à rechercher dans les lésions d’arthrose qui entraînent sa boiterie, la cause de celle-ci ne pouvait être le nodule d’ostéochondrose visible sur la radio réalisée par M. Y ». La divergence de solution trouve son explication au vu des circonstances factuelles et surtout des conclusions de l’expert judiciaire. Si en vertu de l'article 246 du Code de procédure civile, le juge n'est pas lié par les constatations ou les conclusions du technicien désigné judiciairement, en pratique, les juges s’inspirent de l’avis de l’expert dans plus de 90% des cas (Cf. Cadiet, Jeuland, Droit judiciaire privé, LexisNexis, 17e éd., 2013, qui citent l'étude réalisée par Contis, Penvern et Triomphe, dénommée « Incidence des expertises sur le déroulement des litiges », Université de Paris I, 1998, portant sur les expertises ordonnées au cours de l'année 1995 par le tribunal de commerce de Paris).
Le lien nécessaire entre le manquement et le préjudice, comme le rappelle opportunément la Cour de cassation, associé à une indemnisation exprimée en termes de perte de chance, atténue la rigueur avec laquelle le vétérinaire est tenu à l'égard de son cocontractant dans le cadre des visites d'achat. Le praticien peut tenter de se protéger de manière préventive des actions en responsabilité, en précisant dans ses conditions générales, qu'il se réserve le droit de ne mentionner dans son compte-rendu que les anomalies qui lui paraissent significatives. Cette précaution pourra lui permettre de se justifier face à un acheteur lui reprochant de ne pas avoir signalé une lésion dont le vétérinaire a pu considérer avec quelque raison qu'elle ne pouvait pas avoir de répercussions cliniques sur la locomotion du cheval et éviter une procédure inutile et coûteuse.

Blanche de GRANVILLIERS
Avocat à la Cour

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